Résumé
Caractéristiques et conditions de vie de la population Une présence massive de jeunes L'enquête nationale sur le Travail des enfants a permis de dénombrer 4 535 000 enfants âgés de 0 à 17 ans. Le groupe d'âge 5 - 17 ans, objet de la présente étude, avec un effectif de 3 080 000 enfants, représente 28,6% de la population totale et 68% des enfants de ce sous groupe. Parmi les enfants enquêtés, on constate un relatif équilibre selon le sexe puisque on dénombre 99 garçons pour 100 filles. L'âge moyen de la population totale y est de 23,6 ans. Une population assez importante d'enfants d'étrangers Du point de vue de la nationalité des enfants âgés de 0-17 ans, il convient de signaler que ceux de nationalité étrangère représentent 20,5 % de l'effectif. Ces enfants non ivoiriens proviennent essentiellement des pays limitrophes, principalement du Burkina Faso (11,2%) et du Mali (3,6%). Une inégale répartition de la pauvreté selon la région et le milieu L'étude de la distribution par strate des ménages selon le quintile de dépense indique que les strates à forte proportion de ménages plus riches (plus de 40% des ménages se trouvant dans les quintiles 4 et 5) se retrouvent à Abidjan, dans la région des Lacs, et dans le Sud Comoé. Les strates ayant une position médiane en termes de pauvreté (pourcentage des ménages se trouvant dans les quintiles 4 et 5 se situe entre 30% et 40%) se retrouvent dans la région du Haut Sassandra, la région des Lagunes et le Bas Sassandra. Enfin, les strates les plus pauvres, dont la proportion des ménages se trouvant dans les quintiles 4 et 5 est en dessous de 30% ; Dans cette catégorie, l'on retrouve les régions de l'Agneby (27%), du Moyen Comoé, du Moyen Cavally, du Zanzan, du N'zi Comoé, du Fromager, de la Marahoué, et des Montagnes (14%). Par rapport au milieu de résidence, comme on pouvait s'y attendre la proportion des ménages plus riches (quintile 4 et 5) est nettement plus élevée en milieu urbain : 46% des ménages sont dans les quintiles 4 et 5 contre 32% en milieu rural. L'agriculture, principale source de revenu des ménages La principale activité qui génère le revenu de ces ménages reste avant tout l'agriculture (39% des ménages y travaillent). Les emplois salariés réguliers viennent en deuxième position avec 27%. En fonction du milieu de résidence, il ressort qu'en ville, l'emploi salarié régulier reste la principale source de revenu des ménages. Au contraire, en campagne, ce sont les emplois agricoles qui apportent les revenus. La pauvreté des ménages perçue par la détention d'actifs La collecte des informations sur la possession d'un certain nombre de biens d'équipements (télévisions, réfrigérateurs, voitures, motos, bicyclettes, radios, et téléphones), qui traditionnellement confère un certain niveau de richesse a permis d'apprécier les conditions de vie des ménages, et donc le degré de pauvreté. Il en ressort que la radio (62%), la télévision (42%) et le téléphone (26%)) sont les biens les plus partagés par la majorité des ménages en Côte d'Ivoire. Les ménages des villes sont évidemment plus nantis que ceux des villages. L'accès à la propriété du logement assez limité Du point de vue du statut d'occupation du logement, l'enquête montre qu'en majorité, les ménages sont soit propriétaires soit copropriétaires (50%) tandis que 40% des ménages habitent des logements appartenant à des privés. Ce taux est fortement influencé par le statut des ménages en milieu rural où plus de trois quarts sont propriétaires, et moins de 10% sont locataires. En ville, seulement 25% des ménages sont propriétaires. L'accès à l'eau potable et à l'électricité Au total, 86% des ménages vivant dans la zone d'enquête ont eu accès à l'eau potable, en provenance soit d'une source d'eau courante, soit d'un camion citerne, d'un puits ou d'une source protégée. L'eau courante à domicile, qui est la source la plus sûre est consommée principalement en milieu urbain. Plus de 80% des ménages en ville en utilisent. En milieu rural, ils ne sont que 25%. Toutefois, du fait que près de la moitié de la population consomme de l'eau ne provenant pas d'une source d'eau courante, on peut affirmer qu'une frange importante de la population reste toujours exposée à la possibilité que cette eau soit contaminée ou souillée. Concernant l'éclairage des ménages, les résultats de l'étude montrent que près de 65% des ménages ont eu à s'éclairer avec l'électricité, que celle ci soit de la Compagnie Ivoirienne d'Electricité (CIE), ou d'un groupe électrogène. Ce chiffre est un peu surestimé par rapport à la moyenne nationale, en raison du fait que l'essentiel des zones de notre enquête, comme nous avons eu à le souligner déjà est en grande partie concentrée en milieu urbain. Une difficile gestion des ordures ménagères et des eaux usées En matière d'évacuation des ordures par les camions de ramassage et des eaux usées par les réseaux d'égouts et de canaux fermés, les proportions sont respectivement de 16% et 14%. A part la ville d'Abidjan qui semble avoir les meilleurs taux (respectivement 40% et 36%), partout ailleurs l'évacuation des ordures se fait surtout dans la nature avec tous les risques qui s'y rattachent. Une forte utilisation des combustibles solides dans la cuisson des aliments En ce qui concerne le mode de cuisson des aliments, on note que seulement deux ménages sur 10 utilisent le gaz et l'électricité pour cuire les aliments. Les autres ménages ont recours aux produits d'origine végétale, principalement le charbon de bois et le bois (78%) pour cuire leurs aliments. D'autre part, parmi les ménages qui utilisent le gaz et l'électricité, 95% sont dans les villes et 5% dans les campagnes. Par ailleurs, hormis Abidjan où 48% des ménages ont recours au gaz pour la cuisson, le principal mode de cuisson reste toujours le charbon ou le bois dans toutes les autres strates. Les commodités d'aisance très précaires Lorsqu'on s'intéresse aux facilités d'accès aux sanitaires, on constate que très peu de ménages (16%) disposent d'une installation moderne, en l'occurrence la chasse d'eau reliée à un réseau d'égouts. Une frange importante (44%) se voit obligée de se soulager soit dans la nature, soit dans des installations de fortune. En outre, très peu de ménages (17%) ont leur toilette à l'intérieur de la maison et 13% les utilisent seuls, ce qui permet de préserver l'intimité, et limiter la propagation des maladies. · Activités exercées par les enfants Fréquentation scolaire : Un fort taux d'enfants non scolarisés En matière de scolarisation, l'on retient que 42% des enfants ayant l'âge spécifié n'ont pas été scolarisés ou sont sortis du système scolaire au moment de l'enquête. Même si ce nombre semble être élevé en raison certainement de la présence des enfants de 5 ans dans l'effectif (l'âge officiel d'entrée à l'enseignement au primaire étant de 6 ans), il est sûr qu'une bonne partie de ces enfants vont constituer certainement les cibles potentiels du phénomène du travail des enfants ou même des enfants de la rue. En outre, il faut noter que la courbe de fréquentation des filles est toujours en dessous de celle des garçons, marquant ainsi, la discrimination dans la scolarisation au détriment des filles. Activités ménagères : Une nette prédominance Plus de 45% des enfants de 5 à 17 ans sont astreints à une activité ménagère. La différence entre filles et garçons en matière d'exercice de l'activité ménagère n'est pas très significative. Les activités ménagères exécutées par les enfants sont essentiellement le nettoyage, la lessive, la préparation des repas, la vaisselle, la garde des enfants, la recherche de l'eau pour le ménage, etc. Par ailleurs, les enfants économiquement actifs qui sont scolarisés sont un peu plus "libérés" des tâches ménagères. 66% des enfants qui vont à l'école en sont épargnés contre 62% chez ceux qui ne fréquentent pas. Cependant, la différence quant à l'exercice de l'activité ménagère selon que l'enfant soit scolarisé ou non n'est pas significative. Caractéristiques du travail des enfants Les enfants économiquement actifs du point de vue de la semaine de référence représentent 22,2% de la population totale. Lorsqu'on considère l'activité au cours des 12 derniers mois, ce chiffre monte à 25%. Abidjan reste la ville où l'on rencontre le plus d'enfants économiquement actifs quelle que soit la période de référence : 28,5% au cours des 12 derniers mois et 23,1% au cours de la semaine de référence. La région du Bas Sassandra et celle du N'zi Comoé se distinguent des autres avec des taux plus élevés lorsqu'on compare l'ampleur du phénomène selon les régions. On note par ailleurs que les enfants qui travaillent uniquement, c'est-à-dire travaillent sans aller à l'école constituent 10,4% d'enfants de 5 à 17 ans. Si l'on ajoute ceux qui travaillent et qui vont à l'école, cela fait 22% des enfants qui sont économiquement actifs. La principale activité exercée par les enfants reste l'agriculture (58%). Le commerce et l'industrie suivent avec respectivement 23% et moins de 10%. L'activité agricole est essentiellement tournée vers la culture de céréales avant tout (66% des enfants qui sont dans l'agriculture), ce n'est qu'ensuite que la culture du cacao et du café apparaît, mais de très loin (moins de 20%). Les enfants économiquement actifs sont généralement des travailleurs indépendants. La presque totalité (98%) des enfants effectuent les tâches quotidiennes à l'extérieur du domicile, pendant plus de 42 heures par semaine. Plus de 8 enfants sur 10 économiquement actifs astreints à une activité dommageable Globalement, Les enfants astreints à des activités dommageables représentent 18,6% des enfants rencontrés au cours de l'enquête et 83,5% des enfants économiquement actifs. Ils sont presque aussi nombreux que ceux qui effectuent des activités économiques, surtout pour les moins de 15 ans qui correspondent à plus de 90% des enfants économiquement actifs de la même tranche d'âge. Ils se recrutent en majorité (89,7%) parmi ceux âgés de moins de 15 ans. Les garçons sont légèrement plus exposés que les filles, avec un rapport de masculinité moyen de 104 garçons pour 100 filles. Ce rapport est plus élevé chez les plus âgés (15-17 ans). La répartition selon les régions permet de constater que le milieu rural compte plus d'enfants dans les activités dommageables que le milieu urbain. Ce sont 328 000 enfants qui sont concernés. Ce qui correspond à 88% des enfants économiquement actifs du milieu rural. Le commerce et l'agriculture sont les principaux secteurs d'accueil des enfants. 58% des enfants identifiés dans les activités dommageables exercent dans l'agriculture, la pêche ou la sylviculture et 23% sont dans les activités commerciales. Dans l'agriculture, les enfants exerçant dans la culture de céréales sont majoritaires (66%), loin devant ceux exerçant dans la cacao culture (19,2%). Un regard sur le lieu de travail des enfants montre que la grande majorité des enfants exerçant une activité dommageable travaillent à l'extérieur de leur domicile (94%) et ce, quel que soit le sexe, l'age et le milieu de résidence. Et ce travail s'effectue principalement de jour même s'il ne faut pas occulter ceux qui travaillent de nuit (36%) ou de nuit comme de jour. On peut affirmer sans trop de risque de se tromper que ces derniers ne vont pas à l'école. Dans l'ensemble, la durée médiane du travail se situe autour de 48 heures par semaine. Cela parait suffisamment élevé pour que l'activité qu'ils mènent soit dommageable. Tous les secteurs d'activité affichent des heures médianes supérieures ou égales à 48 heures par semaine, sauf l'industrie où le nombre d'heures médian est de 40 heures. · Fréquentation scolaire et activités dommageables Le travail nuit à la scolarisation des enfants Les taux de scolarisation des enfants varie selon qu'ils sont économiquement actifs ou non. Ainsi on peut constater que le taux de scolarisation est de 58% chez ceux qui ne sont pas actifs, alors qu'il est de 54% pour ceux qui travaillent. Le travail s'impose aux enfants au fur et à mesure qu'ils prennent de l'âge, même parmi ceux qui vont à l'école. C'est possible que les parents incitent leurs enfants au travail pour couvrir leurs propres besoins qui augmentent avec leur âge et aussi pour couvrir une partie des besoins de la famille. C'est sans doute la raison qui explique cette évolution du taux de scolarisation. La principale raison qui motive la non scolarisation Parmi les raisons invoquées qui motivent la non scolarisation des enfants figure en tête le manque de moyens financiers des ménages. En second lieu, c'est l'opposition de la famille (certaines familles ont des préférences en matière de scolarisation, principalement au détriment des filles) qui retient notre attention. · Contexte du travail des enfants Une influence certaine de la structure des ménages et de la survie des parents sur le travail des enfants La taille moyenne des ménages tourne autour de cinq personnes. On note cependant que l'exposition des enfants à des travaux dommageables augmente avec la taille des ménages. Par ailleurs, les enfants qui vivent avec au moins un parent, ou dans un ménage dirigé par une femme semblent avoir un peu plus de "chance" de ne pas travailler. Une incidence avérée de la pauvreté dans la mise au travail des enfants Dans les ménages où l'enfant est économiquement actifs les revenus sont plus bas, 328 000 francs CFA par an, alors qu'il est de 465 000 francs CFA chez ceux des ménages dont les enfants ne travaillent pas. Il serait difficile d'avancer l'idée selon laquelle les ménages dont les enfants sont astreints à des activités dommageables ont un revenu plus élevé; la mise des enfants dans des activités dommageables répond à un souci de les mettre au travail plutôt que la recherche d'un gain supplémentaire. L'étude de la distribution des enfants par quintile de la dépense par tête a été faite selon le statut d'occupation. Il ressort des résultats que pour les enfants qui travaillent, la proportion diminue avec le quintile, passant de 25,1% dans le premier quintile à 14,1% dans le dernier. Au contraire, lorsque l'enfant va à l'école uniquement, les proportions sont en ordre inverse. Ainsi, 25% des enfants qui étudient sont dans le quintile 5 contre 18% pour le premier quintile. Les raisons motivant le travail des enfants : la contribution des enfants au revenu du ménage Au rang des raisons avancées pour expliquer l'engagement des enfants au marché du travail figure la contribution directe au revenu du ménage ou de l'entreprise du ménage (60,5%). Si l'on ajoute les 4,6% d'enfants qui ont été obligés par les parents, puisque en définitive, il s'agit certainement d'un appui au ménage, cela fait 65% des enfants qui disent apporter un soutien au ménage ou à l'entreprise du ménage. En outre, la quasi totalité très grande majorité des enfants (99%) onta indiqué être mis au travail pour contribuer en totalité ou en partie au revenu du ménage. C'est un résultat fort qui permet de comprendre que la mise au travail des enfants demeure avant tout la recherche de revenus substantiels pour le ménage. Le travail des enfants comme moyen de socialisation Le travail des enfants demeure un moyen de socialisation et d'éducation dans la société traditionnelle. En effet, le travail des enfants traduit une volonté d'éducation et de formation visant à préparer les enfants à leur future vie d'adulte. Les enfants, dans 26% des cas ont invoqué la raison de la socialisation pour justifier leur mise au travail. La traite des enfants, Enfants victimes de la traite : quelques caractéristiques Environ 33 450 enfants âgés de 5 à 17 ans ont été identifiés comme victimes de la traite, ce qui représente 1,1% de l'ensemble des enfants et 4,95% des enfants économiquement actifs. L'âge moyen de ces enfants est de 11,6 ans. La distribution des enfants en fonction du sexe donne une différence significative (58% de garçons et 42% de filles). La traite inter état : un fort courant migratoire en provenance des pays limitrophes Le Burkina Faso est le pays d'où partent le plus d'enfants (52%). Par pays de provenance, alors que les enfants venant du Burkina Faso vont à Abidjan et dans le Bas Sassandra, ceux en provenance du Ghana vont en majorité à Abidjan. Une responsabilité certaine des parents dans la traite des enfants La majorité (61%) des enfants viennent en Côte d'Ivoire avec leurs parents (père ou mère). Ensuite, ce sont les oncles ou les tantes qui les emmènent (30%). Les moyens de transport utilisés sont le car ou la voiture (79%) et le train (21%). Par ailleurs, 41% des enfants vivent avec leurs parents biologiques, 43% avec d'autres parents, et seulement 8% avec l'employeur. L'inactivité des enfants une des raisons de la traite La vulnérabilité à la traite pourrait s'expliquer (au moins en partie) par le statut d'inactivité des enfants. En effet, 79% des enfants avant d'arriver en Côte d'Ivoire ne faisaient rien, tandis que 21% étaient élèves et ont été volontairement sortis de l'école pour être livrés à la traite. Les mouvements internes : une convergence vers la capitale économique La migration interne est d'abord une migration de proximité. Lorsqu'elle est de longue distance, elle part du Centre et de l'Est (Zanzan, Lacs et Vallée du Bandaman) vers Abidjan, puis du Bas et du Haut Sassandra vers Abidjan, le Nzi Comoé et le Zanzan. Une forte présence des enfants victimes de la traite dans l'agriculture céréalières et le commerce La majorité des enfants victimes de traite exercent dans l'agriculture (49%) puis le commerce (32%). Le secteur de l'industrie est faiblement représenté (moins de 2%). Dans l'agriculture, 77% des enfants victimes de traite travaillent dans la "culture de céréales et de légumes", et 15% dans la culture du "café et du cacao". Cette agriculture se pratique d'abord dans la région du Nzi Comoé (40%), du Bas Sassandra (20%), du Zanzan (12%) et enfin dans la région des Lagunes (8,4%). L'activité commerciale est concentrée à Abidjan et dans le Bas Sassandra. A Abidjan, 51% des enfants travaillent dans le commerce. Par strate, 56% des enfants qui travaillent dans le commerce sont à Abidjan et 17% dans le Nzi Comoé Des conditions de travail des enfants très difficiles Des classes d'heures ont été établies afin de mieux apprécier l'exploitation des enfants relative à la durée du travail. Les résultats sont très expressifs, la grande majorité des enfants, (plus de 64%) indépendamment du sexe et de l'âge travaillent plus de 42 heures par semaine. La situation dans l'emploi des enfants est très contrastée. Près de 70% des enfants économiquement actifs sont des travailleurs familiaux qui ne perçoivent aucune rémunération, tandis que 16% sont des employés ou des travailleurs domestiques payés. Une proportion de 43% des enfants travaillent dans les champs ou dans les plantations et sont ainsi exposés à toutes sortes de dangers (manipulation de produits chimiques, morsures de serpent, blessures à la machette, etc.). 7,5% travaillent à l'extérieur, probablement dans la rue, et pourraient être des cibles potentielles pour des activités illicites (drogues, prostitution, etc.).